L'UNIVERS DES ACTIVITÉS DRAMATIQUES EN ART (Théâtre), EN THÉRAPIE (Psychodrame) ET EN ÉDUCATION (Expression Dramatique)

Par

Luís Aguilar

L'espace intermédiaire entre le produit théâtral et sa réception est occupé par des innombrables variables. Parmi celles-ci, nous avons retenu les aspects éducatif, artistique, et thérapeutique de la médiation théâtrale. En effet, tant de choses qui concernent le champ social et le champ individuel (attentes, besoins et désirs) se situent entre la création d’une oeuvre théâtrale et la réception de celle-ci par les spectateurs.

Dans les congrès internationaux de sociologie du théâtre, on a beaucoup parlé des rapports entre le théâtre et la pédagogie. Quelqu'un a qualifié cette liaison d'heureux mariage. Nous ne savons pas si un tel mariage est heureux, mais un fait est connu depuis longtemps: à l’instar des couples fusionnels, les rapports entre le théâtre et le monde de l'éducation ont connu leur lot de tempêtes à cause de la confusion dans laquelle ils baignaient. Les congrès internationaux de sociologie du théâtre ont toujours ignoré, sinon rejeté un autre type de mariage: celui du théâtre avec la psychothérapie que l’on retrouve souvent dans certains milieux psychiatriques. En effet, depuis longtemps, acteurs, psychologues et psychiatres dans les hôpitaux utilisent les activités dramatiques telles le psychodrame et la scénothérapie ou l’expression scénique dans la guérison des troubles psychologiques des patients.

S’il est vrai qu'un comme l’autre des mariages cités sont légitimes dans l’univers des activités dramatiques, il n’en reste pas moins qu’ils signalent aussi des luttes d’influence entre acteurs sociaux. Les différentes appellations chercheraient alors à délimiter les territoires sociaux sur lesquels cette influence cherche à s’exercer (Oberlé, 1989, p.29). De toute façon, ces deux mariages ont été toujours établis par une relation symbiotique: les pédagogues, les psychologues et les psychiatres maîtrisent mal le langage dramatique, et les animateurs de théâtre ont de la difficulté à comprendre les mondes de l'éducation, de la thérapie et de la formation. Nous voyons alors apparaître des soi-disants pédagogues-artistes à l’école et des thérapeutes-artistes à l’hôpital. Mais en fait, ces mariages se révèlent peu fertiles parce qu'ils sont établis sur des convenances axées sur l'artificiel et minées par des jeux de pouvoir. D'un côté, l'acteur (ou le metteur en scène, ou l'animateur de théâtre) se croit investi de la mission de donner de l'âme (anima) à une école figée ou ennuyeuse du point de vue créatif, ou ont lui a carrément donné cette mission; d’un autre côté, les intervenants en éducation peuvent arrêter unilatéralement et en tout temps cette intervention dite artistique s’ils jugent qu’il ne leur convient pas. Un rapport de force similaire se développe à l’hôpital. Si l’on considère que pour que la méthode obtienne un résultat optimum, il importe avant tout que le psychiatre ou l’analyste et le scéno-thérapeute travaillent en étroite collaboration (Dars & Benoit, 1973, p.27), dans la pratique, les psychiatres sont ceux qui ont le dernier mot. Les deux mariages de convenance sont donc, pour le moins, potentiellement conflictuels.

Beaucoup de choses ont changé dans les rapports qu'entretiennent le monde de l'éducation, le monde de la thérapie et le monde de l’art. Les changements se sont produits à l'intérieur de chacun des membres des couples Éducation-Art, Art-Thérapie et Éducation-Thérapie. Ces relations se font toujours dans la normalité d'un couple: jamais de ménage à trois! Tous les acteurs de ces relations s'empressent d'en nier l'existence, souvent par sectarisme professionnel des différents partenaires qui, de plus, se méfient les uns des autres dans cette relation confuse qui les oppose et fait dire à Jean Duvignaud en ce qui concerne la Sociologie du théâtre: je me sens un peu comme une poule qui a couvé des œufs de canards... et voit nager sa postérité.

Délimitation des champs

La question de la délimitation des champs où se situent les activités dramatiques dépend de leur lieu de formation, de leur espace idéologique ou de leur méthode. Si l’utilisateur est formé en théâtre, il voit les activités dramatiques dans une optique théâtrale, et ses conceptions sur les activités dramatiques y trouvent leur locus nascendi. Ainsi, on parlera de théâtre thérapeutique ou de théâtre éducatif ou tout simplement on considère que comme le psychodrame, le jeu dramatique naît du théâtre et comme lui, il propose une autre utilisation possible du phénomène théâtral: l'éducation (Carasso, 1983, p. 23). Si l'utilisateur a une formation thérapeutique, son optique des activités dramatiques en sera fortement teintée. Pour le psychodramatiste, Bour (1968), par exemple, le psychodrame peut devenir pour le théâtre une occasion de ressourcement (p.284). Ainsi, on parlera de psychodrame éducatif ou de sociodrame. Enfin, si l'utilisateur a une formation pédagogique, il sera tenté d'envisager les activités dramatiques comme des pratiques éducatives qui relèvent des méthodes actives. Comme pédagogue, il ne verra dans le théâtre ou dans les approches psychodramatiques que des moyens éducatifs que occupent une place spécifique en remplaçant le savoir et le savoir-faire par le savoir-être (Barret, 1979, p.18).

Nous devons donc éviter les pièges des compromis et des interférences qui n’ont pour but que le conservatisme ou le sectarisme soutenus par un discours de troisième âge. A titre d'exemple, nous citerons le partenariat: l’introduction d’une pratique issue du théâtre dans laquelle des professionnels du théâtre interviendraient ponctuellement...nous voilà ensemble, enseignants et professionnels...on se sépare au bout d’un an... à cause de divergences que nous n’avions pas prévues (Grange,1993, p.89). Le nouveau concept de partenariat pousse, selon moi, les intervenants en pédagogie et en théâtre dans une association bâtarde en enfermant chacun dans son champ professionnel.

Nous croyons qu'on ne peut aboutir à aucune médiation théâtrale que par le dépassement des frontières de chaque domaine d'activités. Comme nous devons chercher à comprendre ce qui unit les différents domaines des activités dramatiques, nous devons chercher aussi à spécifier ce qui les sépare et forge à chacun une identité propre. Le jeu de rôle dans la classe de langue, ce n'est pas du théâtre à l'école ni du psychodrame et il appartient au pédagogue de l'exploiter, non à l'acteur professionnel ni au thérapeute.

Les pratiques psychodramatiques, théâtrales et expressives-dramatiques sont actuellement dans un état de dispersion totale. Cette dispersion nous incite dans la présente communication à créer l’amorce d’une cartographie, les liens et les filiations existantes des activités dramatiques, dont les tenants se défendent pourtant de s’alimenter aux mêmes sources. C’est pourquoi, il s'avère nécessaire de participer à toutes les activités qui relèvent des divers domaines de ce champ nouveau, tant en recherche qu’en enseignement et en application (Deldime, 1993, p.91), et chercher dans la genèse des pratiques théâtrales, psychodramatiques et expressives-dramatiques si l'on veut comprendre de ces pratiques leurs fondements, leurs objectifs, leurs méthodologies, si l'on veut saisir le sens de leurs approches respectives.

Il s’agit donc de schématiser les différentes façons d'envisager les nombreuses facettes d'un même phénomène: une scène, sur laquelle des individus jouent, consciemment ou non, leurs drames ou ceux des autres; un public, réel ou virtuel; une catharsis appréhendée. Ce phénomène est caractérisé par une double réalité intimement liée, dont l’une, l'ici et maintenant des activités dramatiques au théâtre, en psychodrame ou en expression dramatique - ne fait qu'actualiser l’autre - la vie quotidienne (vécue ou imaginée, réelle ou fictive).

Si l'on regarde les définitions des approches précédemment décrites, on remarque qu'elles peuvent convenir autant à l'art qu'à la thérapie et à l'éducation. C'est que les mêmes activités servent dans les trois domaines. Nous pouvons bien y considérer les similitudes qu'il y a entre elles, mais pas au point de dire comme le soutien Carasso, qu’il ne s'agit pas d'activités différentes, mais d'aspects différents de la même activité. Les similitudes l'emportent sur les différences (Carasso, 1983, p. 27). Nous ne sommes pas d’accord avec ce point de vue! Bien qu'il s'agisse des mêmes activités, des mêmes influences et de réelles similitudes, que relèvent plusieurs auteurs, nous considérons que le contexte dans lequel les activités dramatiques se déroulent ainsi que les objectifs visés imposent des différences.

Il sera périlleux de chercher à appliquer aux domaines de l'éducation ou de la thérapie des techniques et des méthodes empruntées au théâtre, comme s'il s'agissait d'une seule et même réalité. Au théâtre, les activités dramatiques visent un but esthétique, parce que le théâtre, étant par définition un art, est fait pour être vu; en thérapie, les activités dramatiques ont pour but la guérison des individus qui y participent, ce qui suppose le possible passage d'un état pathologique à un état dit normal; en éducation, les activités dramatiques concernent plusieurs aspects de l'apprentissage, car l'expression dramatique [...] rejoint la finalité générale de l'éducation qui est le développement global de la personnalité (Landier et Barret, 1991, p. 9).

Théâtre, psychodrame et expression dramatique sont des concepts auxquels correspondent des pratiques spécifiques qui se distinguent plus par les objectifs qu'elles visent que par leurs méthodes ou leurs activités, que par leurs singularités ou que par les domaines où elles se pratiquent. En effet, l'art, la thérapie et l'éducation sont des domaines de l'activité humaine dans lesquels on peut situer respectivement le théâtre, le psychodrame et l'expression dramatique.

Afin de définir clairement les termes, leur compréhension et leur extension, il serait bon de donner immédiatement les différences et les similitudes qui existent entre le théâtre, le psychodrame et l'expression dramatique. En fait, il s’agit moins de préconiser une sempiternelle et formelle interdisciplinarité, ressaisissant de l’intérieur des inspirations et des structures phénoménologiques se fécondant les unes les autres (Guattari, dans Sinelnikoff, 1987, p.7).

Origine des pratiques

L’origine de ces pratiques expérimentales de situations de la vie par l'action symbolique, se trouve peut-être au sein des profondes transformations qui se sont opérées, autant dans la représentation théâtrale que dans la formation des acteurs, au début du siècle. Stanislawski a été le principal artisan de ces changements. Et en ce qui concerne notre propos, c'est-à-dire tout le champ des activités dramatiques, ce sont ses conceptions, ses réflexions et ses expériences qui ont servi de canevas à la grande toile des activités dramatiques que nous contemplons actuellement dans le monde. Stanislawski parlait de la page blanche et de tout ce travail sur soi pour arriver à une certaine désinformation, une certaine virginité nécessaire à tout acteur qui voulait être son personnage, et non pas faire comme si. C'est à partir de cette conception de la formation d'acteur que Stanislavski a créé une série d'exercices d'improvisation. Ces improvisations recherchent une nouvelle esthétique et de nouvelles formes d'interaction et de communication avec le public dont l'objectif était l'oeuvre à créer, spontanément ou pas. Par la suite, le théâtre s’est particulièrement libéré des pièces écrites et sert des buts sociaux et politiques, comme l'entendait Brecht et d'autres dramaturges.

Nous avons aujourd’hui le spectacle théâtral sous toutes ses formes: professionnel ou amateur, classique sur scène ou populaire dans la rue, à l'école ou dans l'entreprise. L'objectif de cette pratique est clairement exprimé par la dénomination du niveau lui-même: il s'agit du développement chez l'individu des aptitudes artistiques ou esthétiques. Au théâtre, les activités dramatiques se situent du côté du processus de la création ou du côté de la formation de l'acteur, et elles ont, entre autres fonctions, d'éveiller la créativité; elles servent d'intermédiaire entre la matière première (le texte et l'acteur) et le produit fini (la représentation).

Peu après les premières expérimentations de Stanislawski, Moreno créa une méthode de formation de l'acteur, modifia le rapport acteur-spectateur et conçut une façon nouvelle de construire la production théâtrale, production totalement improvisée, c'est-à-dire dont la conception et la concrétisation sont réalisées dans un même temps. Moreno est en quelque sorte un dramaturge ou un metteur en scène qui vendrait la mèche, en nous incitant à faire du théâtre une oeuvre de vie, à passer de l'autre côté de la rampe pour remplacer les acteurs et les personnages (Dumur, in Moreno, 1984, p. 5). De son théâtre de la spontanéité, Moreno est passé au théâtre thérapeutique, créant par la suite le psychodrame, le sociodrame et la sociométrie.

Les nouvelles approches

Moreno, fut le premier à appliquer les nouvelles approches théâtrales à la thérapie. Le psychodrame est une méthode thérapeutique qui propose une mise en scène dans laquelle une personne exprime son drame personnel. Le psychodrame veut guérir par l'action symbolique, dans l'ici et maintenant d'une scène fictive, en mettant le patient en interaction avec un groupe, un public. Le patient joue ses propres conflits, à l'aide d'acteurs, que Moreno appelle ego-auxiliaires, devant un public qui, de son côté, va l'aider à analyser ce qui s'est passé dans la scène improvisée. En proposant de faire comme si on était dans la réalité, le psychodrame permet de faire surgir ou renaître des sentiments, des fantasmes, des conduites dont la compréhension et l'élaboration dans le jeu aideront à découvrir, modifier ou développer la personnalité (Widlöcher, 1970, p. 6). Dans le psychodrame, on voit Moreno entraîner le sujet dans des thèmes de sa vie passée pour lui faire revivre et abréagir ce qu'il avait refoulé (Matisson, 1977, p. 20). Moreno fonda le psychodrame autour de 1920, portant tout particulièrement son attention dans trois directions: le jeu, la rencontre et le théâtre, jusqu’alors considérés comme étrangers à la pensée thérapeutique, et il en fit la base de la nouvelle méthode psychothérapeutique (Leutz, 1985, p.27).

S'il est vrai que les découvertes de Stanislawski ont influencé le psychodrame, il n'en est pas moins vrai que les approches psychodramatiques ont inspiré de nouvelles conventions théâtrales. Mais la ligne de partage entre le théâtre et le psychodrame est nette. Au théâtre, c'est l'engagement dans un rôle préétabli jusqu'à l'oubli de soi-même, nous cheminons du réel à la fiction. Au psychodrame, c'est l'engagement de soi-même jusqu'à l'oubli du rôle: nous cheminons de la fiction au réel (Bour, 1968, p. 282).

Dans l’univers de la thérapie, nous incluons donc les approches psychodramatiques, sociodramatiques et sociométriques des activités dramatiques, telles que proposées par Moreno à travers les différentes interprétations de ses théories sur le psychodrame analytique, le psychodrame triadique et le psychodrame "morénien".

Les activités dramatiques en éducation

Les activités dramatiques en éducation apparaissent aussi dans une période de transition, qui marque le passage d'une pédagogie autoritaire qui entend diriger la croissance de l'enfant selon un plan de développement défini d'avance à une pédagogie non directive qui voudrait laisser à l'enfant l'initiative du processus et la responsabilité de son devenir (Artaud, 1989, p.15).

En prônant l'utilisation de méthodes actives, l'éducation a sollicité la créativité, la spontanéité et la centration sur le développement de la personne; alors se sont engouffrées dans les écoles toutes les formes d'activités dramatiques telles que l'expression dramatique, le jeu dramatique, le théâtre éducatif, la dramatisation, la simulation, le jeu de rôles, etc. Elles varient selon les différents niveaux d'enseignement: du jeu dramatique spontané de l'enfant d'âge préscolaire aux formes élaborées du théâtre de création collective des adolescents; de l'expression dramatique comme démarche en vue du développement de la personne, à l'expression dramatique comme méthode d'enseignement des langues. Selon Richard Courtney (1980), l'expression dramatique en éducation emprunte trois voies: elle est intrinsèque quand les activités sont orientées vers le développement global de la personne; elle est extrinsèque quand les activités sont utilisées pour l'apprentissage d'une matière scolaire; elle est esthétique quand les activités cherchent à développer des capacités artistiques chez les participants.

L'expression dramatique est née de la rencontre du théâtre, de la thérapie et de l'éducation dans un contexte de renouvellement de ces champs. De ces rencontres, plusieurs autres approches dramatiques ont été développées en éducation, telles l'étude de cas, la sociométrie, la dynamique des groupes, le jeu de rôles, etc. L'expression dramatique en éducation peut être le moyen, le prétexte d'une pédagogie, comme le montre Gisèle Barret en se référant à une pédagogie de la situation (1986). En plus, l'action pédagogique s'oriente vers le groupe et les aspects naturels de l'existence. Cette évolution réclame des méthodes actives d'enseignement et d'éducation dans laquelle l'expérience est mise au service de l'action plutôt que de la parole. C'est dans ce contexte que les diverses activités dramatiques prennent place en éducation.

Malgré une paternité commune et des influences réciproques, les différents domaines des activités dramatiques se sont engagés dans des questionnements spécifiques, et leurs pratiques se sont développées indépendamment des influences qu'elles ont subies. Les nouveaux besoins, les nécessités individuelles particulières, les progrès dans le domaine des communications et les changements sociaux rapides qui ont imposé de nouveaux questionnements font qu'on ne peut plus envisager les activités dramatiques d'une façon linéaire, dans des catégories fermées du champ social.

Espaces de médiation théâtrale

Entre la création de l’oeuvre théâtrale et sa réception par le spectateur, nous pouvons définir trois autres espaces de médiation théâtrale que croisent les champs de l’art, de l’éducation et de la thérapie, l’espace entre l’art et la thérapie, l’espace entre l’éducation et la thérapie et l’espace entre l’art et l’éducation, schématisés dans le tableau suivant.

Présenté en premier, l’espace entre l’art et la thérapie. Entre la création de l’oeuvre théâtrale et sa réception par le spectateur, l’acteur est au sein d’une confrontation entre sa personne et le personnage qu’il doit incarner. Or, de plus en plus, l’acteur s’intéresse aux aspects (disons psychologiques) de la création du personnage par sa personne. De cette nouvelle réalité est née une nouvelle approche, l’expression scénique, lorsque l’on se rapporte à la pratique théâtrale, et en thérapie, cette même approche se nomme scénothérapie, deux nouvelles et même réalités dans le croisement de l’art et de la thérapie. L’expression scénique, ou scénothérapie, est née de l’observation de l’influence des rôles interprétés sur la personnalité des comédiens (Sinelnikoff, 1987, p. 181).

Présenté en second, à l’interface de la thérapie et de l’éducation le nouveau champ de la formation et développement personnel. Certaines activités dramatiques qui concernent le développement personnel (jeu de rôles, dramatisation des situations, simulation, étude de cas, technique d’improvisation spontanée, etc.) constituent d’autres formes de médiation théâtrale. Cette approche de la formation se fait dans des lieux et des temps les plus diversifiés, par exemple dans la formation en entreprise, dans le secteur de la santé et du travail social, dans les centres de formation, dans les centres de développement de la personne, mais aussi dans d’autres milieux sociaux-culturels plus proches des disciplines artistiques (théâtre, cinéma, voire même publicité, etc.) (Sinelnikoff, 1987, p. 185). Cette approche de la formation emprunte des formes multiples. Ce genre d’approche de la formation, qui rejoint des personnes de tous les niveaux sociaux et des formateurs issus des univers artistiques, éducatifs et thérapeutiques, peut être actualisé par la médiation des nombreuses thérapies nouvelles. Mais on le retrouve aussi chez certains psychopéda-gogues, par le biais des nouvelles approches centrées sur l’identité professionnelle, et chez les intervenants en développement de la personne. On le retrouve également chez les hommes et les femmes issus du milieu artistique, notamment du théâtre. Boal, avec qui nous avons travaillé au Portugal, est un très bon exemple du dialogue entre les univers de la thérapie, du théâtre et de l’éducation, à partir d’interventions dans la formation de la personne. En effet, Boal, qui a longtemps évacué la thérapie de ses pratiques, ou les effets thérapeutiques de ses approches en théâtre de l’opprimé, écrit aujourd’hui dans un livre dont le titre est déjà significatif (Méthode Boal de théâtre et de thérapie): le théâtre est une thérapie dans laquelle on entre corps et âme, soma et psyché. (Boal, 1990, p.40).

Le troisième champ de la médiation théâtrale est le domaine que nous désignons l’animation socioculturelle. Les activités de ce domaine sont réalisées avec des groupes de personnes issus de milieux hétérogènes. Nous retrouvons dans ce champ le, les ligues d’improvisation (Ligue nationale d’improvisation-Québec) et toutes les formes qui visent soit l’amusement d’un public, soit l’agitation politique, soit l’animation des lieux publics. Les événements/spectacles de ce champ sont des activités très proches du théâtre, mais qui visent d’autres objectifs que le développement d’un art ou d’une esthétique. Ses objectifs sont ailleurs: dans la politique, par exemple, ou dans la didactique. Ce sont des activités dramatiques qui se pratiquent comme une fin en soi ou qui se centrent plus sur le processus que sur la production. Vu qu’elles prennent place dans un contexte ludique, nous ne pouvons également considérer ces approches comme des approches thérapeutiques. Même le psychodrame public, nous l’incluons dans le domaine de l’animation socioculturelle car son objectif de diffusion de la méthode vise plus la démonstration que la thérapie.

Nous considérons finalement un dernier espace qui consiste pour nous à dépasser les frontières de chacun des domaines des activités dramatiques décrites. Le dépassement des frontières des différents champs d’utilisation des activités dramatiques (art, thérapie et éducation) est une réalité plus importante que l’artificialisme de l’animation, du partenariat, de l’école du spectateur, etc. Il se traduit par de multiples formes de médiation théâtrale. Une de ces formes se retrouve dans la formation, où l’on voit de plus en plus d’acteurs, de thérapeutes et d’enseignants se rencontrer et inévitablement se questionner sur leurs pratiques et les différends objectifs qu’ils visent en renouvelant leurs approches. Une autre forme se situe dans l’intersection des champs dont il est question dans la présente communication et dans l’émergence de nouvelles aires d’intervention, que nous avons représenté schématiquement auparavant.

L'art, la thérapie et l'éducation ont suivi des lignes parallèles en cherchant à se distinguer les uns des autres. Mais aujourd'hui, ces lignes tendent à se chevaucher. Demain, peut-être que tous les chemins iront se confondre dans un espace commun. Déjà, certains auteurs, qui développent une approche holistique en ce qui concerne les activités dramatiques, considèrent ces dernières comme des moyens psychologiques, psychopéda-gogiques, thérapeutiques, didactiques et artistiques.

En espérant que ce texte ait mit en évidence à la fois le besoin de rigueur pour ne pas confondre les différents champs d’intervention et l’audace de développer de nouveaux espaces de médiation théâtrale novatrice.


RÉFÉRENCES

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