L'espace
intermédiaire entre le produit théâtral et
sa réception est occupé par des innombrables variables.
Parmi celles-ci, nous avons retenu les aspects éducatif,
artistique, et thérapeutique de la médiation théâtrale.
En effet, tant de choses qui concernent le champ social et le
champ individuel (attentes, besoins et désirs) se situent
entre la création d’une oeuvre théâtrale
et la réception de celle-ci par les spectateurs.
Dans les congrès internationaux de sociologie du théâtre,
on a beaucoup parlé des rapports entre le théâtre
et la pédagogie. Quelqu'un a qualifié cette liaison
d'heureux mariage. Nous ne savons pas si un tel mariage
est heureux, mais un fait est connu depuis longtemps: à
l’instar des couples fusionnels, les rapports entre le théâtre
et le monde de l'éducation ont connu leur lot de tempêtes
à cause de la confusion dans laquelle ils baignaient. Les
congrès internationaux de sociologie du théâtre
ont toujours ignoré, sinon rejeté un autre type
de mariage: celui du théâtre avec la psychothérapie
que l’on retrouve souvent dans certains milieux psychiatriques.
En effet, depuis longtemps, acteurs, psychologues et psychiatres
dans les hôpitaux utilisent les activités dramatiques
telles le psychodrame et la scénothérapie ou l’expression
scénique dans la guérison des troubles psychologiques
des patients.
S’il est vrai qu'un comme l’autre des mariages cités
sont légitimes dans l’univers des activités
dramatiques, il n’en reste pas moins qu’ils signalent
aussi des luttes d’influence entre acteurs sociaux. Les
différentes appellations chercheraient alors à délimiter
les territoires sociaux sur lesquels cette influence cherche à
s’exercer (Oberlé, 1989, p.29). De toute façon,
ces deux mariages ont été toujours établis
par une relation symbiotique: les pédagogues, les psychologues
et les psychiatres maîtrisent mal le langage dramatique,
et les animateurs de théâtre ont de la difficulté
à comprendre les mondes de l'éducation, de la thérapie
et de la formation. Nous voyons alors apparaître des soi-disants
pédagogues-artistes à l’école et des
thérapeutes-artistes à l’hôpital. Mais
en fait, ces mariages se révèlent peu fertiles parce
qu'ils sont établis sur des convenances axées sur
l'artificiel et minées par des jeux de pouvoir. D'un côté,
l'acteur (ou le metteur en scène, ou l'animateur de théâtre)
se croit investi de la mission de donner de l'âme (anima)
à une école figée ou ennuyeuse du point de
vue créatif, ou ont lui a carrément donné
cette mission; d’un autre côté, les intervenants
en éducation peuvent arrêter unilatéralement
et en tout temps cette intervention dite artistique s’ils
jugent qu’il ne leur convient pas. Un rapport de force similaire
se développe à l’hôpital. Si l’on
considère que pour que la méthode obtienne un
résultat optimum, il importe avant tout que le psychiatre
ou l’analyste et le scéno-thérapeute travaillent
en étroite collaboration (Dars & Benoit, 1973,
p.27), dans la pratique, les psychiatres sont ceux qui ont le
dernier mot. Les deux mariages de convenance sont donc, pour le
moins, potentiellement conflictuels.
Beaucoup de choses ont changé dans les rapports qu'entretiennent
le monde de l'éducation, le monde de la thérapie
et le monde de l’art. Les changements se sont produits à
l'intérieur de chacun des membres des couples Éducation-Art,
Art-Thérapie et Éducation-Thérapie. Ces relations
se font toujours dans la normalité d'un couple: jamais
de ménage à trois! Tous les acteurs de ces relations
s'empressent d'en nier l'existence, souvent par sectarisme professionnel
des différents partenaires qui, de plus, se méfient
les uns des autres dans cette relation confuse qui les oppose
et fait dire à Jean Duvignaud en ce qui concerne la Sociologie
du théâtre: je me sens un peu comme une poule
qui a couvé des œufs de canards... et voit nager sa
postérité.
Délimitation
des champs
La question de la délimitation des champs où se
situent les activités dramatiques dépend de leur
lieu de formation, de leur espace idéologique ou de leur
méthode. Si l’utilisateur est formé en théâtre,
il voit les activités dramatiques dans une optique théâtrale,
et ses conceptions sur les activités dramatiques y trouvent
leur locus nascendi. Ainsi, on parlera de théâtre
thérapeutique ou de théâtre éducatif
ou tout simplement on considère que comme le psychodrame,
le jeu dramatique naît du théâtre et comme
lui, il propose une autre utilisation possible du phénomène
théâtral: l'éducation (Carasso, 1983,
p. 23). Si l'utilisateur a une formation thérapeutique,
son optique des activités dramatiques en sera fortement
teintée. Pour le psychodramatiste, Bour (1968), par exemple,
le psychodrame peut devenir pour le théâtre une
occasion de ressourcement (p.284). Ainsi, on parlera de psychodrame
éducatif ou de sociodrame. Enfin, si l'utilisateur a une
formation pédagogique, il sera tenté d'envisager
les activités dramatiques comme des pratiques éducatives
qui relèvent des méthodes actives. Comme pédagogue,
il ne verra dans le théâtre ou dans les approches
psychodramatiques que des moyens éducatifs que occupent
une place spécifique en remplaçant le savoir
et le savoir-faire par le savoir-être (Barret, 1979,
p.18).
Nous devons donc éviter les pièges des compromis
et des interférences qui n’ont pour but que le conservatisme
ou le sectarisme soutenus par un discours de troisième
âge. A titre d'exemple, nous citerons le partenariat:
l’introduction d’une pratique issue du théâtre
dans laquelle des professionnels du théâtre interviendraient
ponctuellement...nous voilà ensemble, enseignants et professionnels...on
se sépare au bout d’un an... à cause de divergences
que nous n’avions pas prévues (Grange,1993,
p.89). Le nouveau concept de partenariat pousse, selon moi, les
intervenants en pédagogie et en théâtre dans
une association bâtarde en enfermant chacun dans son champ
professionnel.
Nous croyons qu'on ne peut aboutir à aucune médiation
théâtrale que par le dépassement des frontières
de chaque domaine d'activités. Comme nous devons chercher
à comprendre ce qui unit les différents domaines
des activités dramatiques, nous devons chercher aussi à
spécifier ce qui les sépare et forge à chacun
une identité propre. Le jeu de rôle dans la classe
de langue, ce n'est pas du théâtre à l'école
ni du psychodrame et il appartient au pédagogue de l'exploiter,
non à l'acteur professionnel ni au thérapeute.
Les pratiques psychodramatiques, théâtrales et expressives-dramatiques
sont actuellement dans un état de dispersion totale. Cette
dispersion nous incite dans la présente communication à
créer l’amorce d’une cartographie, les liens
et les filiations existantes des activités dramatiques,
dont les tenants se défendent pourtant de s’alimenter
aux mêmes sources. C’est pourquoi, il s'avère
nécessaire de participer à toutes les activités
qui relèvent des divers domaines de ce champ nouveau, tant
en recherche qu’en enseignement et en application (Deldime,
1993, p.91), et chercher dans la genèse des pratiques théâtrales,
psychodramatiques et expressives-dramatiques si l'on veut comprendre
de ces pratiques leurs fondements, leurs objectifs, leurs méthodologies,
si l'on veut saisir le sens de leurs approches respectives.
Il s’agit donc de schématiser les différentes
façons d'envisager les nombreuses facettes d'un même
phénomène: une scène, sur laquelle des individus
jouent, consciemment ou non, leurs drames ou ceux des autres;
un public, réel ou virtuel; une catharsis appréhendée.
Ce phénomène est caractérisé par une
double réalité intimement liée, dont l’une,
l'ici et maintenant des activités dramatiques au théâtre,
en psychodrame ou en expression dramatique - ne fait qu'actualiser
l’autre - la vie quotidienne (vécue ou imaginée,
réelle ou fictive).
Si l'on regarde les définitions des approches précédemment
décrites, on remarque qu'elles peuvent convenir autant
à l'art qu'à la thérapie et à l'éducation.
C'est que les mêmes activités servent dans les trois
domaines. Nous pouvons bien y considérer les similitudes
qu'il y a entre elles, mais pas au point de dire comme le soutien
Carasso, qu’il ne s'agit pas d'activités différentes,
mais d'aspects différents de la même activité.
Les similitudes l'emportent sur les différences (Carasso,
1983, p. 27). Nous ne sommes pas d’accord avec ce point
de vue! Bien qu'il s'agisse des mêmes activités,
des mêmes influences et de réelles similitudes, que
relèvent plusieurs auteurs, nous considérons que
le contexte dans lequel les activités dramatiques se déroulent
ainsi que les objectifs visés imposent des différences.
Il sera périlleux de chercher à appliquer aux domaines
de l'éducation ou de la thérapie des techniques
et des méthodes empruntées au théâtre,
comme s'il s'agissait d'une seule et même réalité.
Au théâtre, les activités dramatiques visent
un but esthétique, parce que le théâtre, étant
par définition un art, est fait pour être vu; en
thérapie, les activités dramatiques ont pour but
la guérison des individus qui y participent, ce qui suppose
le possible passage d'un état pathologique à un
état dit normal; en éducation, les activités
dramatiques concernent plusieurs aspects de l'apprentissage, car
l'expression dramatique [...] rejoint la finalité générale
de l'éducation qui est le développement global de
la personnalité (Landier et Barret, 1991, p. 9).
Théâtre, psychodrame et expression dramatique sont
des concepts auxquels correspondent des pratiques spécifiques
qui se distinguent plus par les objectifs qu'elles visent que
par leurs méthodes ou leurs activités, que par leurs
singularités ou que par les domaines où elles se
pratiquent. En effet, l'art, la thérapie et l'éducation
sont des domaines de l'activité humaine dans lesquels on
peut situer respectivement le théâtre, le psychodrame
et l'expression dramatique.
Afin de définir clairement les termes, leur compréhension
et leur extension, il serait bon de donner immédiatement
les différences et les similitudes qui existent entre le
théâtre, le psychodrame et l'expression dramatique.
En fait, il s’agit moins de préconiser une sempiternelle
et formelle interdisciplinarité, ressaisissant de l’intérieur
des inspirations et des structures phénoménologiques
se fécondant les unes les autres (Guattari, dans Sinelnikoff,
1987, p.7).
Origine
des pratiques
L’origine de ces pratiques expérimentales de situations
de la vie par l'action symbolique, se trouve peut-être
au sein des profondes transformations qui se sont opérées,
autant dans la représentation théâtrale que
dans la formation des acteurs, au début du siècle.
Stanislawski a été le principal artisan de ces changements.
Et en ce qui concerne notre propos, c'est-à-dire tout le
champ des activités dramatiques, ce sont ses conceptions,
ses réflexions et ses expériences qui ont servi
de canevas à la grande toile des activités dramatiques
que nous contemplons actuellement dans le monde. Stanislawski
parlait de la page blanche et de tout ce travail sur
soi pour arriver à une certaine désinformation,
une certaine virginité nécessaire à tout
acteur qui voulait être son personnage, et non
pas faire comme si. C'est à partir de cette conception
de la formation d'acteur que Stanislavski a créé
une série d'exercices d'improvisation. Ces improvisations
recherchent une nouvelle esthétique et de nouvelles formes
d'interaction et de communication avec le public dont l'objectif
était l'oeuvre à créer, spontanément
ou pas. Par la suite, le théâtre s’est particulièrement
libéré des pièces écrites et sert
des buts sociaux et politiques, comme l'entendait Brecht et d'autres
dramaturges.
Nous avons aujourd’hui le spectacle théâtral
sous toutes ses formes: professionnel ou amateur, classique sur
scène ou populaire dans la rue, à l'école
ou dans l'entreprise. L'objectif de cette pratique est clairement
exprimé par la dénomination du niveau lui-même:
il s'agit du développement chez l'individu des aptitudes
artistiques ou esthétiques. Au théâtre, les
activités dramatiques se situent du côté du
processus de la création ou du côté de la
formation de l'acteur, et elles ont, entre autres fonctions, d'éveiller
la créativité; elles servent d'intermédiaire
entre la matière première (le texte et l'acteur)
et le produit fini (la représentation).
Peu après les premières expérimentations
de Stanislawski, Moreno créa une méthode de formation
de l'acteur, modifia le rapport acteur-spectateur et conçut
une façon nouvelle de construire la production théâtrale,
production totalement improvisée, c'est-à-dire dont
la conception et la concrétisation sont réalisées
dans un même temps. Moreno est en quelque sorte un dramaturge
ou un metteur en scène qui vendrait la mèche, en
nous incitant à faire du théâtre une oeuvre
de vie, à passer de l'autre côté de la rampe
pour remplacer les acteurs et les personnages (Dumur, in
Moreno, 1984, p. 5). De son théâtre de la spontanéité,
Moreno est passé au théâtre thérapeutique,
créant par la suite le psychodrame, le sociodrame et la
sociométrie.
Les
nouvelles approches
Moreno, fut le premier à appliquer les nouvelles approches
théâtrales à la thérapie. Le psychodrame
est une méthode thérapeutique qui propose une mise
en scène dans laquelle une personne exprime son drame personnel.
Le psychodrame veut guérir par l'action symbolique, dans
l'ici et maintenant d'une scène fictive, en mettant le
patient en interaction avec un groupe, un public. Le patient joue
ses propres conflits, à l'aide d'acteurs, que Moreno appelle
ego-auxiliaires, devant un public qui, de son côté,
va l'aider à analyser ce qui s'est passé dans la
scène improvisée. En proposant de faire comme si
on était dans la réalité, le psychodrame
permet de faire surgir ou renaître des sentiments, des
fantasmes, des conduites dont la compréhension et l'élaboration
dans le jeu aideront à découvrir, modifier ou développer
la personnalité (Widlöcher, 1970, p. 6). Dans
le psychodrame, on voit Moreno entraîner le sujet dans des
thèmes de sa vie passée pour lui faire revivre et
abréagir ce qu'il avait refoulé (Matisson,
1977, p. 20). Moreno fonda le psychodrame autour de 1920,
portant tout particulièrement son attention dans trois
directions: le jeu, la rencontre et le théâtre, jusqu’alors
considérés comme étrangers à la pensée
thérapeutique, et il en fit la base de la nouvelle méthode
psychothérapeutique (Leutz, 1985, p.27).
S'il est vrai que les découvertes de Stanislawski ont influencé
le psychodrame, il n'en est pas moins vrai que les approches psychodramatiques
ont inspiré de nouvelles conventions théâtrales.
Mais la ligne de partage entre le théâtre et le psychodrame
est nette. Au théâtre, c'est l'engagement dans
un rôle préétabli jusqu'à l'oubli de
soi-même, nous cheminons du réel à la fiction.
Au psychodrame, c'est l'engagement de soi-même jusqu'à
l'oubli du rôle: nous cheminons de la fiction au réel
(Bour, 1968, p. 282).
Dans l’univers de la thérapie, nous incluons donc
les approches psychodramatiques, sociodramatiques et sociométriques
des activités dramatiques, telles que proposées
par Moreno à travers les différentes interprétations
de ses théories sur le psychodrame analytique, le psychodrame
triadique et le psychodrame "morénien".
Les
activités dramatiques en éducation
Les activités dramatiques en éducation apparaissent
aussi dans une période de transition, qui marque le passage
d'une pédagogie autoritaire qui entend diriger la croissance
de l'enfant selon un plan de développement défini
d'avance à une pédagogie non directive qui voudrait
laisser à l'enfant l'initiative du processus et la responsabilité
de son devenir (Artaud, 1989, p.15).
En prônant l'utilisation de méthodes actives, l'éducation
a sollicité la créativité, la spontanéité
et la centration sur le développement de la personne; alors
se sont engouffrées dans les écoles toutes les formes
d'activités dramatiques telles que l'expression dramatique,
le jeu dramatique, le théâtre éducatif, la
dramatisation, la simulation, le jeu de rôles, etc. Elles
varient selon les différents niveaux d'enseignement: du
jeu dramatique spontané de l'enfant d'âge préscolaire
aux formes élaborées du théâtre de
création collective des adolescents; de l'expression dramatique
comme démarche en vue du développement de la personne,
à l'expression dramatique comme méthode d'enseignement
des langues. Selon Richard Courtney (1980), l'expression dramatique
en éducation emprunte trois voies: elle est intrinsèque
quand les activités sont orientées vers le développement
global de la personne; elle est extrinsèque quand les activités
sont utilisées pour l'apprentissage d'une matière
scolaire; elle est esthétique quand les activités
cherchent à développer des capacités artistiques
chez les participants.
L'expression dramatique est née de la rencontre du théâtre,
de la thérapie et de l'éducation dans un contexte
de renouvellement de ces champs. De ces rencontres, plusieurs
autres approches dramatiques ont été développées
en éducation, telles l'étude de cas, la sociométrie,
la dynamique des groupes, le jeu de rôles, etc. L'expression
dramatique en éducation peut être le moyen, le prétexte
d'une pédagogie, comme le montre Gisèle Barret en
se référant à une pédagogie de la
situation (1986). En plus, l'action pédagogique s'oriente
vers le groupe et les aspects naturels de l'existence. Cette évolution
réclame des méthodes actives d'enseignement et d'éducation
dans laquelle l'expérience est mise au service de l'action
plutôt que de la parole. C'est dans ce contexte que les
diverses activités dramatiques prennent place en éducation.
Malgré une paternité commune et des influences réciproques,
les différents domaines des activités dramatiques
se sont engagés dans des questionnements spécifiques,
et leurs pratiques se sont développées indépendamment
des influences qu'elles ont subies. Les nouveaux besoins, les
nécessités individuelles particulières, les
progrès dans le domaine des communications et les changements
sociaux rapides qui ont imposé de nouveaux questionnements
font qu'on ne peut plus envisager les activités dramatiques
d'une façon linéaire, dans des catégories
fermées du champ social.
Espaces
de médiation théâtrale
Entre la création de l’oeuvre théâtrale
et sa réception par le spectateur, nous pouvons définir
trois autres espaces de médiation théâtrale
que croisent les champs de l’art, de l’éducation
et de la thérapie, l’espace entre l’art et
la thérapie, l’espace entre l’éducation
et la thérapie et l’espace entre l’art et l’éducation,
schématisés dans le tableau suivant.
Présenté
en premier, l’espace entre l’art et la thérapie.
Entre la création de l’oeuvre théâtrale
et sa réception par le spectateur, l’acteur est au
sein d’une confrontation entre sa personne et le personnage
qu’il doit incarner. Or, de plus en plus, l’acteur
s’intéresse aux aspects (disons psychologiques) de
la création du personnage par sa personne. De cette nouvelle
réalité est née une nouvelle approche, l’expression
scénique, lorsque l’on se rapporte à la pratique
théâtrale, et en thérapie, cette même
approche se nomme scénothérapie, deux nouvelles
et même réalités dans le croisement de l’art
et de la thérapie. L’expression scénique,
ou scénothérapie, est née de l’observation
de l’influence des rôles interprétés
sur la personnalité des comédiens (Sinelnikoff,
1987, p. 181).
Présenté en second, à l’interface de
la thérapie et de l’éducation le nouveau champ
de la formation et développement personnel. Certaines activités
dramatiques qui concernent le développement personnel (jeu
de rôles, dramatisation des situations, simulation, étude
de cas, technique d’improvisation spontanée, etc.)
constituent d’autres formes de médiation théâtrale.
Cette approche de la formation se fait dans des lieux et des temps
les plus diversifiés, par exemple dans la formation en
entreprise, dans le secteur de la santé et du travail social,
dans les centres de formation, dans les centres de développement
de la personne, mais aussi dans d’autres milieux sociaux-culturels
plus proches des disciplines artistiques (théâtre,
cinéma, voire même publicité, etc.) (Sinelnikoff,
1987, p. 185). Cette approche de la formation emprunte des formes
multiples. Ce genre d’approche de la formation, qui rejoint
des personnes de tous les niveaux sociaux et des formateurs issus
des univers artistiques, éducatifs et thérapeutiques,
peut être actualisé par la médiation des nombreuses
thérapies nouvelles. Mais on le retrouve aussi chez certains
psychopéda-gogues, par le biais des nouvelles approches
centrées sur l’identité professionnelle, et
chez les intervenants en développement de la personne.
On le retrouve également chez les hommes et les femmes
issus du milieu artistique, notamment du théâtre.
Boal, avec qui nous avons travaillé au Portugal, est un
très bon exemple du dialogue entre les univers de la thérapie,
du théâtre et de l’éducation, à
partir d’interventions dans la formation de la personne.
En effet, Boal, qui a longtemps évacué la thérapie
de ses pratiques, ou les effets thérapeutiques de ses approches
en théâtre de l’opprimé, écrit
aujourd’hui dans un livre dont le titre est déjà
significatif (Méthode Boal de théâtre
et de thérapie): le théâtre est une thérapie
dans laquelle on entre corps et âme, soma et psyché.
(Boal, 1990, p.40).
Le troisième champ de la médiation théâtrale
est le domaine que nous désignons l’animation socioculturelle.
Les activités de ce domaine sont réalisées
avec des groupes de personnes issus de milieux hétérogènes.
Nous retrouvons dans ce champ le, les ligues d’improvisation
(Ligue nationale d’improvisation-Québec) et toutes
les formes qui visent soit l’amusement d’un public,
soit l’agitation politique, soit l’animation des lieux
publics. Les événements/spectacles de ce champ sont
des activités très proches du théâtre,
mais qui visent d’autres objectifs que le développement
d’un art ou d’une esthétique. Ses objectifs
sont ailleurs: dans la politique, par exemple, ou dans la didactique.
Ce sont des activités dramatiques qui se pratiquent comme
une fin en soi ou qui se centrent plus sur le processus que sur
la production. Vu qu’elles prennent place dans un contexte
ludique, nous ne pouvons également considérer ces
approches comme des approches thérapeutiques. Même
le psychodrame public, nous l’incluons dans le domaine de
l’animation socioculturelle car son objectif de diffusion
de la méthode vise plus la démonstration que la
thérapie.
Nous considérons finalement un dernier espace qui consiste
pour nous à dépasser les frontières de chacun
des domaines des activités dramatiques décrites.
Le dépassement des frontières des différents
champs d’utilisation des activités dramatiques (art,
thérapie et éducation) est une réalité
plus importante que l’artificialisme de l’animation,
du partenariat, de l’école du spectateur, etc. Il
se traduit par de multiples formes de médiation théâtrale.
Une de ces formes se retrouve dans la formation, où l’on
voit de plus en plus d’acteurs, de thérapeutes et
d’enseignants se rencontrer et inévitablement se
questionner sur leurs pratiques et les différends objectifs
qu’ils visent en renouvelant leurs approches. Une autre
forme se situe dans l’intersection des champs dont il est
question dans la présente communication et dans l’émergence
de nouvelles aires d’intervention, que nous avons représenté
schématiquement auparavant.
L'art, la thérapie et l'éducation ont suivi des
lignes parallèles en cherchant à se distinguer les
uns des autres. Mais aujourd'hui, ces lignes tendent à
se chevaucher. Demain, peut-être que tous les chemins iront
se confondre dans un espace commun. Déjà, certains
auteurs, qui développent une approche holistique en ce
qui concerne les activités dramatiques, considèrent
ces dernières comme des moyens psychologiques, psychopéda-gogiques,
thérapeutiques, didactiques et artistiques.
En espérant que ce texte ait mit en évidence à
la fois le besoin de rigueur pour ne pas confondre les différents
champs d’intervention et l’audace de développer
de nouveaux espaces de médiation théâtrale
novatrice.
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